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Je meurs à minuit

Le 24 octobre 1947, un jeune noir américain condamné à mort passa à la chaise électrique à Chicago. Il laisse avant de mourir un témoignage dont on se souviendra longtemps dans la région de Chicago et même au delà, puisqu’il est venu jusqu’à nous, Européens. Le voici:

Quand vous lirez ceci, je serai mort. Nous sommes le 9 septembre 1947, un mardi, à minuit. Je suis condamné à mort comme criminel. Depuis que je suis dans ma cellule, j’ai eu le temps de beaucoup penser. Quelques-unes de mes pensées – un avertissement aux criminels – ont été publiées aujourd’hui dans le journal de Chicago (Chicago Tribune) dans un article adressé aux «plus durs des endurcis».
J’ai seulement 23 ans, mais je suis prêt à mourir. Savez-vous pourquoi? Parce que je suis prêt à rencontrer Dieu et j’en suis heureux. Cette semaine, j’ai fait un rêve que j’emporterai avec moi sur la chaise électrique. J’étais sur le chemin du ciel, Jésus marchait avec moi, mais je faisais quatre pas tandis qu’il en faisait deux. Il me demanda pourquoi j’allais si vite et je lui répondis que j’étais pressé d’arriver à la maison. Puis là-haut, je fus tout environné d’anges. Quelques-uns penseront que c’est bien étrange pour un homme qui est entré athée en prison, mais c’est exactement ce qui s’est passé, et vous comprendrez mieux quand je vous aurai dit comment j’ai rencontré Dieu, un matin de bonne heure.
Tout d’abord, jetez un regard sur mon passé. Il y a sept ans, j’étais un type qui se faisait valoir, chef de mon propre «gang» des «plus durs des endurcis». Nous étions huit: Earl Parks surnommé «Risette», car il vous aurait tué le sourire aux lèvres. Charles Jones, connu sous le nom de «Beau gosse», car il avait l’allure d’un joli garçon. Herbert Liggins, connu sous le nom de «Patte folle», car il traînait une jambe. William Lee était appelé «Bill le Sauvage», et Charles Hill «Colorado Kid». Clyde Bradford, lui, était si noir que nous l’appelions «Tout bleu». Le «timonier» était Percy Bellmar. Nous l’avions surnommé ainsi parce qu’il était bon chauffeur: mon timonier numéro 1. Tous sont en prison sauf Parks qui a été exécuté. Ils m’appelaient «Nénesse, le Gaspilleur et le Coureur de femmes». J’essayais d’agir comme un «caïd», sortant toujours de ma poche une «brique», quelquefois deux ou trois.
Quand j’ai commencé à faire des mauvais coups, j’étais encore un gosse. Ma famille cherchait à m’envoyer à l’école du dimanche et à l’église. Plus d’une fois, ils m’ont donné de l’argent pour que j’y accompagne mes jeunes soeurs, mais je n’y suis jamais allé. Je faisais promettre à celles-ci de ne rien dire, et pendant ce temps je courais au cinéma. Je disais à mes parents que j’étais allé à l’église, et ils ne s’apercevaient de rien. Le crime était en moi, et les films que je voyais m’aidaient à concrétiser mes idées. J’y apprenais quelques trucs qui m’instruisaient sur la «façon de s’y prendre». Je me souviens du jour où j’ai vu le film «J’ai volé un million». J’étais là, désirant être le gars qui possédait le million.
Puis j’ai décidé d’apprendre la boxe, pensant que j’étais «costaud» et qu’ainsi je pourrais me défendre à l’occasion. Je pensais aussi que ça pourrait cogner dur un jour. Je fus le meilleur de ma classe pendant un moment, puis devins «pro» et combattis comme poids moyen pendant cinq ans. Je terminai comme poids mi-lourd; le seul homme à me mettre K.O. fut Jimmy Bovins. À 18 ans, je me trouvais dans une maison de correction dans l’état de l’Illinois, pour vol à main armée. En octobre 1941, huit d’entre nous s’échappèrent, mais le mois suivant je me retrouvai au pénitencier «Joliet». J’avais écopé la prison à vie pour un meurtre commis dans un parc de Chicago, mais fus mis en liberté conditionnelle en juin 1946. Il semblait que cela aurait dû être une leçon pour moi, mais il n’en fut rien.
Six mois plus jard, j’étais chef d’un nouveau «gang»; cela dura jusqu’au 9 février dernier. Ce soir-là, trois d’entre nous attaquèrent Max Barren, 49 ans, dans son bar situé à l’ouest de Chicago. Barren essaya de saisir un pistolet; je bondis sur lui, mais il était décidé à tirer. Je compris aussitôt que ce serait lui ou nous, alors je tirai à bout portant et le tuai. Nous déguerpîmes avec l’argent, 300 dollars en tout, que je donnai plus tard aux autres gars. Je m’enfuis à New York, puis à Atlanta, où la police m’arrêta. Quelques semaines plus tard, je comparaissais devant la cour de Chicago.
«Reconnu coupable», ainsi retentit le verdict. «Vous êtes condamné à mort», dit le juge sévèrement. Ainsi, j’entrai à Death Row, le «sentier de la mort». Il n’y avait pas très longtemps que j’étais derrière les barreaux, le 23 mars dernier, quand une femme de ma race – Mme Flora Jones, de l’Église Baptiste d’Olivet – vint m’inviter à assister au service religieux pour les détenus. J’étais en train de jouer aux cartes avec d’autres copains et lui ris au nez. «Pour quoi faire?» lui dis-je, «je ne pense même pas qu’il y ait un Dieu»; mais tandis que je jouais, la femme insistait. Je me sentais si pécheur, qu’en réalité je ne voulais rien savoir de Dieu, même s’il existait. Ainsi, j’ignorai cette femme. Tout à coup, ce qu’elle dit attira mon attention. «Si vous ne croyez pas en Dieu», cria-t-elle de l’autre côté des barreaux, «essayez seulement cette petite expérience: ce soir, avant de vous endormir, demandez-lui de vous réveiller à une certaine heure?; puis demandez-lui de vous pardonner vos péchés.»
Elle avait une telle foi que j’en fus saisi. Je n’ai pas assisté au service ce soir-là, mais je décidai de faire l’expérience. Allongé sur ma paillasse, je murmurai?: «Mon Dieu, si tu existes, réveille-moi à 2 heures 45.» Dehors, c’était l’hiver, et les fenêtres se givraient à l’intérieur. Pendant les premières heures de la nuit, je dormis profondément, puis mon sommeil devint plus léger; finalement, je m’éveillai complètement. J’avais chaud et transpirais quoique la cellule fût froide. Tout était calme, sauf le bruit régulier de la respiration de quelques détenus et le ronflement d’un voisin. J’entendis des pas au dehors; c’était un gardien qui faisait sa tournée réglementaire. Quand il passa, je l’arrêtai et lui demandai l’heure. Il regarda sa montre et dit: «Trois heures moins le quart.?» – «C’est la même chose que 2 heures 45, dites voir»
Tandis que je posais cette question, mon cœur se mit soudain à battre violemment dans ma poitrine. Le gardien grogna et s’éloigna. Il ne me vit pas glisser au pied de ma paillasse et tomber à genoux. Je ne me souviens pas de ce que j’ai dit à Dieu, mais je sais que je lui ai demandé d’avoir pitié de moi, un assassin et un pécheur. Il m’a sauvé cette nuit-là, je le sais, et depuis, j’ai toujours cru en son Fils Jésus.
J’avais promis une «rossée» à un autre détenu pour le jour suivant. Le matin, quand j’allai vers lui, il recula et me dit: «Je n’ai pas envie de lutter avec toi, car tu t’y connais dans la boxe.» – «Je ne veux pas boxer», lui dis-je, «je viens seulement pour te voir.» Plusieurs s’étaient réunis pour nous voir lutter, mais ils furent déçus. Dieu m’avait délivré de mon péché et je n’avais plus aucune envie de me battre. Plus tard, le bruit a couru que je méditais quelque tour pour éviter d’aller à la chaise électrique.
Mon cas passa devant la Cour suprême de l’Illinois qui maintint la sentence de mort. Cela me «fit un coup», mais je ne perdis pas la foi en Dieu. Je sais maintenant qu’il viendra avec moi; aussi, vous voyez, je n’ai vraiment pas peur. Avant de mourir, je veux laisser un message pour les autres jeunes: commencez à servir le Seigneur pendant que vous êtes jeunes, avancez sur ce chemin, et il vous gardera dans la droite ligne. Quand on commence à tuer, on est vaincu et il est difficile d’en sortir. C’est exactement comme pour l’habitude de fumer ou de boire, on en est esclave, on ne peut pas s’arrêter. Oui, je serai mort quand vous lirez ceci, mais souvenez-vous de cette parole de la Bible: «Car le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur.» (Romains 6:23) J’ai découvert que c’était vrai.
Aujourd’hui 22 octobre, le directeur Frank Sain m’a dit que le gouverneur Green m’accordait un délai d’exécution jusqu’au 24 octobre.
Je suis toujours heureux et ne crains rien. Je mourrai demain, à minuit. Ernest Gaither


Peter Tanis, missionnaire des prisons, a accompagné Ernest Gaither à la chaise électrique. Voici la description des derniers moments du détenu:
J’ai été autorisé à entrer dans la cellule d’Ernest à peu près une heure avant minuit. L’atmosphère était lourde, les gardiens se tenaient autour de la cellule, bavardant pour détourner sa pensée «du voyage de minuit». Mais leur conversation était forcée, et ce qu’ils disaient n’avait aucun sens. Lorsque je suis entré dans sa cellule, Ernest a souri et m’a salué. Un aumônier noir était en train de lire la Bible avec lui. Il m’a donné le Saint Livre et m’a demandé de lire. Ernest s’est penché en avant et a écouté attentivement tandis que je lisais: «Car Christ est ma vie, et la mort m’est un gain … je suis pressé des deux côtés: j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur.» (Philippiens 1:21,23)
Il reçut un grand réconfort de ce verset: «Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi.» (Psaume 23:4) Quand l’horloge sonna la dernière heure de sa vie, il cita ce verset par coeur. Dehors, les gardiens écoutaient sans rien dire, certains avaient les larmes aux yeux. À 11 heures et demie environ, nous avons eu une réunion pendant laquelle nous avons chanté des cantiques. Ernest voulut chanter: «Quand l’appel de Dieu retentira, je serai là.» Tandis que les derniers sons d’un autre cantique «Quelques mots avec Jésus» se faisaient entendre, les gardiens vinrent avec une tondeuse pour couper les cheveux de l’homme à la voix de ténor. Juste avant minuit, Ernest pria: «Seigneur», dit-il à voix basse, «quand je suis entré ici, je haïssais ces gardiens; mais maintenant, je les aime, Seigneur. O Dieu, j’aime tous les hommes.» Puis il pria pour ceux auxquels il avait fait de la peine, pour sa mère, demandant au Seigneur de la bénir. Il conclut en disant: «Je ne vais pas mourir par électrocution, je vais seulement m’asseoir sur la chaise et m’endormir.»
Quelques minutes plus tard, une cagoule noire fut posée sur sa tête et il commença à parcourir les derniers mètres. De chaque côté de la chaise se tenaient des gardiens qui paraissaient visiblement nerveux. Ernest le sentit et leur dit: «Pourquoi tremblez-vous ainsi? Je n’ai pas peur.» Soixante-quinze témoins étaient présents quand le condamné fut attaché par des mains fébriles sur la grande chaise noire que faisait ressortir un plancher d’acier sans tache. À minuit et trois minutes, le premier des trois chocs électriques passait à travers le corps d’Ernest. À minuit et quart, cinq docteurs en tenue confirmèrent la mort, l’un après l’autre. Mais je savais que le vrai Ernest Gaither était encore vivant et que son corps seulement était mort. En quittant la prison, je pensais au verset qu’il aimait tant: «Car Christ est ma vie, et la mort m’est un gain.» (Philippiens 1:21)